いい気分だわ!

French translation of The Rothbard Reader (Section 1, Rothbard: Man, Economist Anti-Statist, Chapter 1: Murray Rothbard) V1

Voici une traduction française de The Rothbard Reader que je suis entrain de produire et dont j’ai nommé Rothbard : Anthologie. (Ceci n’est pas une version définitive)

Section I: Rothbard: Man, Economist Anti-Statist

Chapitre 1: Murray Rothbard

L’affiche sur le mur de Murray Rothbard représente un professeur grisonnant qui pianote sur une machine à écrire. De la machine s’élèvent, comme par magie, ses mots, qui se fondent dans un drapeau noir de l’anarchie flottant au‑dessus de sa tête. Sous le dessin, on peut lire la légende : « Murray N. Rothbard — le plus grand ennemi vivant de l’État. » Cette affiche, comme presque tout ce qui touche à la politique, fait rire Rothbard. Il a un sens de l’humour qui, dans sa jeunesse, l’a même poussé à écrire une pièce off‑Broadway, Mozart Was a Red, qui tournait en dérision le culte de la personnalité à la Ayn Rand. Aujourd’hui encore, il rit très facilement. Si quelqu’un prononce le nom de quasiment n’importe quel économiste ou homme politique institutionnel, Rothbard réagit d’un « hah ! » nasal. Abe Beame, Jerry Ford, Hubert Humphrey, John Kenneth Galbraith, Alan Greenspan, Ronald Reagan — tous suscitent la même réaction : un rire suivi d’une discussion théorique où Rothbard utilise une logique implacable pour s’attaquer à ceux qu’il considère comme des ennemis de la liberté, de la prospérité et du bien commun.

Le style sans concession de Rothbard et ses opinions tranchées lui ont peu à peu valu un public. Aujourd’hui, il est considéré comme le principal théoricien et porte‑parole de la nouvelle philosophie libertarienne — un rôle qu’il savoure après des années d’obscurité passées à rédiger des traités économiques et des articles dans des revues savantes. Désormais, il apparaît régulièrement à la télévision nationale et est très sollicité comme conférencier sur les campus universitaires. Ses nombreux ouvrages, dont plusieurs étaient longtemps indisponibles, reparaissent en de nouvelles éditions publiées par de grands éditeurs, et ils commencent à se vendre. Les deux premiers tomes des cinq volumes de son histoire de l’Amérique coloniale et de la Révolution, intitulée Conceived in Liberty, sont devenus des « best-sellers » parmi les ouvrages académiques.

Bien sûr, tout le monde n’est pas ravi de l’intérêt récent porté à la pensée de Rothbard, qui synthétise à la fois des idées libérales et conservatrices. Parmi ses principaux détracteurs figurent de nombreux collègues économistes professionnels, avec lesquels Rothbard se dispute depuis vingt‑cinq ans. Les grandes lignes du différend sont simples : Rothbard estime que la plupart d’entre eux ne savent pas vraiment de quoi ils parlent. Ils ont riposté en l’exilant, pour ainsi dire, de sa propre profession. Pendant longtemps, il a payé sa franchise par des revenus que l’on peut qualifier de très modestes pour un titulaire d’un doctorat de Columbia. Au lieu d’être invité à rejoindre le corps enseignant d’une université prestigieuse, il a dû se contenter de faire la navette en métro entre son domicile à Manhattan et le New York Polytechnic Institute à Brooklyn. Rothbard a aussi été écarté des missions de conseil privées lucratives, qui font des économistes l’une des professions les mieux rémunérées. Plutôt que d’inciter entreprises et agences gouvernementales à le recruter, il écrivait des livres et des articles remettant en question la valeur de la plupart des conseils économiques. Sa critique selon laquelle graphiques et tableaux sont pour la plupart trompeurs a fait chuter la demande pour ses services. En vingt ans, une seule entreprise — une usine de champignons — l’a sollicité pour du conseil.

Si Rothbard a pu contester l’application commerciale de ses travaux, d’autres, comme Harry Browne (voir l’entretien de Browne dans Penthouse, février 1975), ont fait fortune dans le conseil financier en popularisant des concepts développés dans ses premiers ouvrages sur les dépressions, tels que The Panic of 1819 et America’s Great Depression. Browne et bien d’autres prophètes mineurs de la « catastrophe imminente » gagnent des milliers de dollars par jour en recommandant à leurs clients de « prendre la fuite dans les collines », arguant que l’économie contrôlée par l’État est condamnée à l’échec. Que pense Rothbard de tels conseils ? Pas grand‑chose. Il refuse de commenter directement Browne pour éviter toute apparence d’animosité personnelle. Mais son sentiment général sur le fait de se replier est que ce serait une erreur catastrophique. « D’ailleurs, » dit Rothbard, « il n’y a pas tant de collines où se réfugier. »

Le journaliste de Penthouse, Jim Davidson, interrogea le professeur Rothbard sur ses vues controversées. La conversation illustre pourquoi cet économiste de cinquante ans a été décrit comme le seul théoricien politique « à la fois à gauche et à droite de tout le monde ». En s’attaquant à la direction politique actuelle et à quasiment tous les aspects de la politique gouvernementale, Rothbard explique pourquoi il garde toujours confiance en l’avenir de l’Amérique.

Penthouse : Si vous aviez une baguette magique pour corriger ce qui ne va pas en Amérique, que feriez‑vous ?
Rothbard : Je retiendrais le gouvernement loin des vies et des biens de tous les citoyens américains. Je commencerais par abroger toute la législation adoptée et tous les décrets administratifs pris au cours du dernier siècle environ.

Penthouse : Même les lois censées aider les pauvres, protéger les consommateurs et subvenir aux besoins des jeunes, des malades et des personnes âgées ?
Rothbard : Oui. Les lois destinées à aider les pauvres sont factices. Les pauvres ne bénéficient pas réellement de l’État‑providence.

Des études menées dans un quartier ghetto de Washington, D.C. ont montré que, après avoir comparé les impôts versés aux aides perçues, ces habitants tirent moins de bénéfices de l’État qu’ils n’y investissent. Ils financent l’État‑providence autant que tout le monde ! L’argent est simplement siphonné vers le complexe militaro‑industriel, les salaires bureaucratiques, et ainsi de suite.

Penthouse : Si les programmes sociaux ne profitent pas aux nécessiteux, pourquoi les maintenir ?
Rothbard : Parce qu’ils créent un électorat de fonctionnaires pour les dirigeants, pour l’appareil d’État et pour ceux qui en tirent profit. Ils constituent aussi une façade d’altruisme derrière laquelle opèrent les véritables bénéficiaires de l’État : les titulaires de contrats, de subventions ou de privilèges monopolistiques.

Penthouse : Pouvez‑vous être plus précis ?
Rothbard : Par exemple, le Civil Aeronautics Board, qui réglemente l’aviation civile, a été créé sous la pression des grandes compagnies aériennes (Pan Am, United, etc.) pour maintenir les tarifs élevés, non pour protéger le consommateur. Le CAB crée des monopoles, restreint les liaisons clés et conserve des prix élevés, au détriment de l’efficacité et du porte‑monnaie du public. Il a mis en faillite de nombreuses petites compagnies sûres et efficaces, tout simplement en refusant de leur délivrer des « certificats de convenance et de nécessité ».

Penthouse : Vous prônez donc la suppression de toutes les fonctions gouvernementales.
Rothbard : Je pense que toutes ces fonctions pourraient être assurées de bien meilleure façon par des moyens volontaires, financés par les usagers réels plutôt que par des contribuables contraints. Les salaires des policiers, pompiers et fonctionnaires devraient dépendre de l’efficacité de leur service rendu aux consommateurs, et non de la coercition fiscale. Ils cesseraient d’être une bureaucratie pérenne et devraient « se mettre au niveau » comme tout le monde. Les biens et services du secteur privé fonctionnent selon un test profit/perte ; l’État, lui, n’a pas à se préoccuper de sa rentabilité.

Penthouse : Mais comment le marché libre fournirait‑il un service comme la police ?
Rothbard : Cela revient à demander comment le marché libre pourrait fournir des chaussures : dans notre société, les riches engagent déjà des gardes privés, tandis que les pauvres se tournent vers la police publique. Presque tout le monde a une assurance santé – Blue Cross et autres. Pourquoi l’assurance police serait‑elle plus chère ? On paierait une prime annuelle pour disposer, en cas de besoin, d’une protection policière. Ceux qui ne peuvent pas se le permettre bénéficieraient d’une aide gratuite, de la même façon que les sociétés d’aide juridictionnelle offrent une assistance légale aux indigents.

Penthouse : Si vous supprimiez le gouvernement et que chaque service était offert par l’entreprise privée, comment les pauvres survivraient‑ils ?
Rothbard : Les pauvres ne sont aidés que par l’entreprise privée : c’est l’investissement privé et l’esprit d’entreprise qui ont fait passer le niveau de vie du préindustriel à l’actuel. L’État est un frein, un parasite qui appauvrit le système productif. Le gouvernement nuit, il n’aide pas.

Penthouse : Avant le XXᵉ siècle, on vivait de charité privée, que Dickens critiquait déjà. Voulez‑vous y revenir ?
Rothbard : Non : la charité privée visait à remettre les gens sur pied pour éviter qu’ils ne redeviennent dépendants. Elle a globalement réussi. Aujourd’hui, l’Église mormone aide ses membres sans aucun recours à l’aide sociale. De même, certaines communautés ethniques s’entraident volontairement plutôt que de subir la déchéance morale des assistés.

Penthouse : Beaucoup d’économistes disent qu’un marché libre sans entrave conduit à récessions et dépressions, que seule l’intervention étatique peut soigner.
Rothbard : Non : dépressions et récessions sont l’œuvre de l’État et de sa contrefaçon monétaire inflationniste. C’est le système bancaire public qui génère ces crises en distordant l’économie et en engendrant des investissements malsains, suivis d’une liquidation dépressive. Plus l’État intervient, plus la dépression dure : dans les années 1930, l’interférence prolongée par le New Deal a étiré la crise sur onze années, avant que la Seconde Guerre mondiale n’y mette fin.

Penthouse : En quoi votre position diffère‑t‑elle de celle des conservatives, qui dénoncent eux aussi l’« État tentaculaire » ?
Rothbard : Les conservatives, comme Ford, usent d’une rhétorique pro‑marché, mais leurs actes trahissent des déficits abyssaux (75 à 150 milliards en 1976 selon différents audits) et des subventions pharaoniques (100 milliards pour l’énergie privée). Ils défendent les dépenses militaires et les tarifs élevés, tout en clamant vouloir réduire l’assistance sociale : leur discours libre‑échangiste ne résiste pas à l’analyse de leurs budgets.

Penthouse : Et par rapport aux libéraux ?
Rothbard : Les libertariens, comme les libéraux, défendent la liberté personnelle, mais nous ajoutons la liberté économique. Les libéraux sont souvent incohérents : ils réclament la liberté individuelle, mais soutiennent l’enfermement des malades mentaux ou l’imposition de ceintures de sécurité obligatoires, ce que je trouve odieux.

Penthouse : Vous soutenez tout acte entre adultes consentants, qu’il soit capitaliste ou non ?
Rothbard : Absolument : tout acte privé réalisé entre adultes consentants doit être autorisé. Les questions de goût personnel sont hors sujet légal : le droit doit garantir la liberté tant économique que personnelle, y compris la publicité pour le tabac, une question de libertés civiles au même titre que la légalisation des drogues ou de l’alcool.

Penthouse : Les élections ne sont‑elles pas le moyen pour le peuple de décider du système social ?
Rothbard : Les élections méritent ce nom à peine : la majorité ne vote pas, et ceux qui le font choisissent entre deux partis quasi identiques, sans moyen de sanction juridique si les promesses ne sont pas tenues. En revanche, un consommateur « vote » à chaque achat et est véritablement maître de son destin.

Penthouse : Et vous, voterez‑vous ?
Rothbard : Je n’ai plus voté depuis longtemps. Et si je ne vote pas, je ne suis pas plus responsable : ce sont ceux qui choisissent le vainqueur qui méritent ce qui leur arrive, pas ceux qui s’abstiennent.

Penthouse : Le gouvernement ne représente-t‑il pas tout le peuple, à la différence des groupes d’intérêts particuliers ?
Rothbard : Non : s’il y a 45 % de votants, seul un peu plus de 20 % ont soutenu le vainqueur. Le gouvernement n’est qu’un groupe parmi nous ; la majorité, « le peuple », n’y est pas. Il est utile de penser les fonctionnaires non comme les pourvoyeurs du bien public, mais comme des bureaucrates visant à maximiser leur revenu.

Penthouse : Pouvez‑vous donner un exemple de cette « maximisation » bureaucratique ?
Rothbard : Chaque responsable agrandit son équipe pour faire croître son budget : il lui est impossible de dépenser moins que la dotation pour éviter une coupe l’année suivante, ce qui fait proliférer la bureaucratie comme un cancer.

Penthouse : La bureaucratie privée n’existe‑t‑elle pas aussi ?
Rothbard : Si, mais elle est limitée par le risque de faillite ; l’État peut accumuler déficits sans jamais fermer boutique, ce qui lui permet une croissance infinie.

Penthouse : Certains craignent l’impact social d’un coup de ciseau sur tous les programmes publics : comment se ferait la transition ?
Rothbard : Laissez faire le marché : après la démobilisation de la Seconde Guerre mondiale, 10 millions de militaires réintégrés n’ont pas causé de chômage de masse ; en six mois, l’économie s’est ajustée. Laisser le marché libre agir, c’est opter pour une transition courte et efficace, plutôt qu’un état chronique d’assistance et d’intérêts constitués.

Penthouse : Ne faut‑il pas un État fort pour la politique étrangère ?
Rothbard : Un État puissant n’est aussi utile à l’international qu’au plan intérieur : ses interventions multiplient tensions et conflits. Tenter de corriger les équilibres ou de piller des matières premières génère guerres et massacres de masse.

Penthouse : Sans protection américaine, les dictateurs ne s’imposeraient‑ils pas ?
Rothbard : Cela fait un siècle qu’on justifie l’interventionnisme pour préserver la « démocratie », et le monde n’a jamais été aussi peu libre. La vraie menace, c’est le statisme, pas le communisme étranger. L’éliminer diminuerait les risques de conflit, et une défense privée serait plus efficace qu’une armée d’État.

Penthouse : Quel budget pour une défense totalement marchande ?
Rothbard : Je ne suis pas expert militaire, mais on pourrait se passer de l’arsenal de surpuissance. Il paraît que seuls les sous‑marins Polaris suffiraient pour la dissuasion nucléaire : on pourrait alors supprimer toutes les autres dépenses, avec une économie budgétaire considérable.

Penthouse : Les marxistes disent qu’un budget militaire exorbitant prouve l’échec du capitalisme ?
Rothbard : L’État‑capitalisme a effectivement échoué : les économies marxistes ont généré meurtres, tortures et expropriations, sans jamais rivaliser avec l’efficacité du marché libre. Leur seul véhicule de réussite demeure le marché noir.

Penthouse : Et l’environnement ?
Rothbard : La majorité de la pollution est causée par l’État : épandages massifs de DDT, rejets d’eaux usées par les services municipaux… L’État n’assure même pas la défense des droits de propriété, laissant des pollueurs envahir les vergers sans sanction.

Penthouse : Sans normes étatiques, ne risquons‑nous pas la catastrophe nucléaire ?
Rothbard : Les centrales sont subventionnées et assurées par l’État ; supprimer ces subventions réglerait en grande partie le problème. De toute façon, fixer des normes a priori inhibe l’innovation et abaisse la qualité des produits au niveau minimum autorisé. La responsabilité doit être réglée par la justice, pas par la réglementation préalable : si un produit empoisonne, le consommateur doit pouvoir poursuivre le fabricant.

Penthouse : Que pensez‑vous de la socialisation de la médecine ?
Rothbard : Ce serait un désastre : en Grande‑Bretagne, la qualité des soins a décliné et la fiscalité a explosé. Les gens consulteraient un médecin à tout bout de champ si c’était gratuit, saturant le système. Aux États‑Unis, l’État a déjà alourdi les coûts en restreignant le nombre de praticiens (licences, quotas d’écoles), puis avec Medicare et Medicaid, qui ont fait grimper les tarifs. Au final, les coûts ont augmenté sans bénéfice pour les patients. Il faut supprimer les licences, assouplir la réglementation et enlever l’obligation d’ordonnance, qui crée un monopole pharmaceutique injustifié.

Penthouse : Vous préconisez donc que n’importe qui, diplômé ou non, puisse exercer la médecine ?
Rothbard : Oui : si j’ai un ongle incarné, je devrais pouvoir aller voir la vieille femme du quartier et payer cinquante cents. Je ne veux pas dépenser cinquante‑cinq dollars chez un médecin de Park Avenue.

Penthouse : Beaucoup de personnes hésiteraient à se passer de l’État, de peur de perdre leurs intérêts acquis ?
Rothbard : Il existe effectivement un réseau d’intérêts constitués, mais la majorité du public, elle, n’en bénéficie pas et serait prête à soutenir une réduction de l’emprise de l’État une fois qu’elle en comprendra l’exploitation.

Penthouse : Les intérêts constitués constituent-ils une « classe dirigeante », selon Marx ?
Rothbard : Oui, une coalition de politiciens, de bureaucrates et de grands industriels alignés avec l’État (Rockefeller, General Dynamics, etc.), avec, en partenaires secondaires, la direction syndicale (AFL‑CIO), forme la classe dirigeante. Tout groupe détenant le contrôle de l’appareil d’État devient, de fait, une classe dirigeante.

Penthouse : Pensez-vous que la situation va s’améliorer ou s’aggraver ?
Rothbard : Paradoxalement, je crois que ça va s’améliorer parce que ça va empirer : la crise due à l’État tentaculaire est telle que la seule issue est d’éliminer ou de réduire radicalement l’intervention gouvernementale. Je suis optimiste : le public comprendra enfin que l’État puissant nous a mis dans ce pétrin, et la seule voie de sortie est la voie libertarienne.

Penthouse : Y a‑t‑il une chance d’une nouvelle Révolution américaine ?
Rothbard : Les Pères fondateurs étaient des libertariens dans l’âme ; Jefferson disait qu’une révolution serait nécessaire si le gouvernement devenait trop tyrannique. J’espère donc qu’à mesure que les Américains prendront conscience de la situation et adopteront des idées libertariennes, des mesures pacifiques suffiront à réduire ou éliminer le pouvoir de l’État.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *